L’enfant de la séparation

Face à un monde qui lui est étranger, ignorant tout mais s’enrichissant à chaque instant de découvertes et d’expériences nouvelles, le petit enfant – particulièrement avant l’âge de 6 ans – est confronté sans cesse à des situations de stress physiques, physiologiques, affectives et psychologiques. A son besoin permanent de refuge, de sécurité, puis peu à peu de soutien et d’explications sur le monde, ce sont les parents qui répondent, chacun dans son rôle propre et complémentaire de l’autre parent.

On conçoit dès lors que la séparation des parents soit toujours un drame pour l’enfant. La coopération parentale permanente d’un foyer uni devient alors une suite de rencontres limitées dans le temps, interrompues de façon variable dans leur continuité et leur stabilité , et trop souvent marquées par des conflits qui n’échappent pas à l’enfant. Il n’est pas étonnant que celui-ci exprime alors sa souffrance, ses besoins insatisfaits, sa difficulté à vivre dans un cadre instable, toujours temporaire et par là non sécurisant.

Des parents manifestent de plus en plus fréquemment leur inquiétude devant les troubles que présente leur enfant. Très souvent, ils les rattachent d’eux-mêmes à une organisation des relations parentales qui ne répond pas à ses besoins de stabilité et d’équilibre de vie. L’enfant lui-même exprime à sa façon, et souvent clairement, son mal-vivre. Les travaux des spécialistes les plus compétents démontrent que deux situations ont une large responsabilité dans ces difficultés de vie du petit enfant : la séparation d’une de ses figure d’attachement et plus particulièrement de la figure d’attachement la plus sécurisante, et l’institution d’une résidence alternée trop précoce . Ces deux situations qui ne tiennent aucun compte des besoins de l’enfant doivent être connues.

L’INCIDENCE DE LA SÉPARATION

Le nourrisson ou le petit enfant, déjà en difficulté du fait de la séparation de ses parents, est en outre soumis aux décisions des adultes qui l’entourent. Dans ce contexte, deux situations principales qui lui sont trop souvent imposées sont susceptibles de troubler son indispensable équilibre psycho-affectif : la séparation de sa figure d’attachement principale et la décision de garde et résidence alternées.

1 – En cas de divorce de ses parents, contexte déjà déstabilisant, la séparation de la figure d’attachement la plus sécurisante,

La mère (le plus souvent) est pour l’enfant tout petit un véritable drame ou un moment très angoissant. Lors du départ de sa maison, l’enfant est confronté à la disparition de la personne et du cadre de vie qui sont pour lui représentatifs de la stabilité et de la sécurité. Cet authentique choc se situe pour l’enfant à un double niveau :

  • Un niveau personnel : c’est l’absence subite de la personne de référence, aggravée par la suppression du havre de sécurité qu’est le milieu de vie habituel : le lit, la chambre, les jouets, les animaux… qui sont aussi pour l’enfant des objets de référence.
  • Un niveau temporel, car l’enfant petit ne connaît pas la notion de durée  : l’objet n’existe plus lorsqu’il disparaît de sa vue. La disparition de la figure d’attachement est donc pour lui définitive, c’est un abandon qui le laisse désormais seul face à un monde étranger.

Pourtant sont souvent imposées à l’enfant, parfois âgé de seulement quelques mois !!, des séparations régulières de son environnement habituel : par exemple pendant un week-end sur deux et surtout durant la moitié des vacances scolaires…

Les conséquences d’une telle séparation sont bien connues :

  • Le moment de la séparation. Au moment du départ une angoisse profonde se manifeste bruyamment par des cris de désespoir, des pleurs, des protestations déchirantes, une agitation extrême. Ceux qui ont malheureusement observé cette scène ne peuvent oublier ce qu’est le désespoir du petit être impuissant.
  • La durée de la séparation. Jusqu’aux environs de la deuxième année, une séparation prolongée, et plus  encore de nuits si l’enfant n’y est pas prêt, modifie visiblement le comportement psycho-affectif du tout petit enfant : lors de son retour, il peut être perturbé ensuite pendant quelques heures à plusieurs jours selon sa sensibilité. Cette période de réadaptation au milieu de vie habituel est marquée par des comportements anormaux : insomnie, difficultés relationnelles, angoisse, troubles psycho-somatiques (fièvre, eczéma, vomissements, syndrome d’allure grippal….) lorsque la figure d’attachement s’éloigne…
  • Les séparations répétées. La répétition de tels épisodes de séparation finit par avoir sur l’enfant des effets inquiétants. Souvent en apparence les manifestations de refus vont peu à peu sembler s’atténuer, mais ce n’en est que plus préoccupant, car elles vont en réalité laisser place à une attitude d’acceptation passive, de résignation devant l’inéluctable  : l’enfant s’isole, ne répond plus, ne regarde plus, suce son pouce et se coupe de ses émotions. Peu à peu va s’installer une perte de la confiance de l’enfant dans les adultes qui ont participé à la séparation, pouvant aller jusqu’au rejet de l’un des parents.
  • Plus tard, dans la suite de séparations survenant dans des contextes voisins, des difficultés relationnelles, voire de véritables épisodes dépressifs répétés jusqu’à l’âge adulte ont été observés : le «principe de précaution» devrait donc être appliqué vis-à-vis de telles séparations, comme il l’est dans bien d’autres situations de risque.

En pratique, les études les plus documentées s’accordent sur une conclusion : ce n’est qu’après l’âge de deux ou trois ans, et si la situation est favorable, que de telles absences  avec séparations nocturnes  de l’enfant de son lien d’attachement le plus sécurisant peuvent être envisagées.

Le «droit de visite» correspond à la possibilité pour le parent qui ne loge pas l’enfant de le rencontrer selon une fréquence et une durée appropriées.

Ces visites peuvent avoir lieu plusieurs fois par semaine, voire chaque jour, et durer par exemple de une à trois heures selon l’âge de l’enfant. Aucun modèle ne peut convenir pleinement à toutes les familles, et les visites peuvent être aménagées en fonction des possibilités et des souhaits des deux parents

Pour l’enfant, elles ont un réel intérêt :

  • elles assurent une rencontre fréquente de l’enfant et du parent vivant ailleurs, permettant ainsi de développer la connaissance mutuelle et une réelle intimité entre eux
  • elles évitent au petit enfant l’épreuve si néfaste de la séparation
  • elles ouvrent la voie à des relations bi-parentales saines qui permettront à l’enfant plus grand de vivre une relation équilibrée avec ses deux parents.

Il est certainement regrettable qu’une telle solution souple et adaptée ne soit pas recherchée plus souvent , au profit de décisions extrêmes qui ne préservent guère l’affectivité et l’équilibre du petit enfant.

2 – La résidence alternée est pour le petit enfant une solution à haut risque.

La résidence alternée vise avant tout à satisfaire de façon équivalente les «droits» du père et de la mère en apportant à l’un et à l’autre un temps égal de partage de l’enfant. C’est ainsi que l’on peut voir de petits enfants passer alternativement une semaine chez leur père, puis une semaine chez leur mère…
Ou encore, comme l’a suggéré un juge aux affaires familiales, 3 jours chez le père, 4 chez la mère puis 4 chez le père, 3 chez la mère…
Pour une parfaite égalité du père et de la mère !

La loi du 4 mars 2002 indique qu’elle vise l’ «intérêt de l’enfant». Mais dans la réalité les magistrats n’ont pas les moyens d’évaluer ses effets sur le développement de l’enfant, et elle se trouve en fait en contradiction avec les conclusions des études des spécialistes les plus reconnus de la petite enfance.

Nous avons vu que le petit enfant ne perçoit pas la notion de temps. Nous avons vu aussi que ses besoins ne s’accordent pas avec l’idée d’un partage égal de son temps chez l’un et l’autre parent.
Toutes les études réalisées chez le nourrisson et le petit enfant montrent en effet son besoin de relation permanente avec une figure d’attachement principale qui est habituellement la mère. Elles montrent aussi que le respect de cet attachement prioritaire est une condition qui favorisera le rôle et la place du père (le plus souvent) auprès de son enfant.

En pratique, les expériences de séparation mère-enfant (énumérées ci-dessus) confirment que les besoins du petit enfant sont incompatibles avec des séparation prolongées et/ou nocturnes de la figure d’attachement la plus sécurisante, et qu’il faut privilégier au contraire des rencontres courtes mais fréquentes, voire quotidiennes, de l’autre parent.

Chez l’enfant plus grand, aucune attitude dogmatique ne peut être adoptée dans ce domaine. L’âge, le degré de maturité de l’enfant et les conditions particulières à chaque situation doivent guider avant toute autre considération les éventuelles décisions de garde et résidence alternée. Ceci nécessite une analyse précise de chaque situation particulière.

A côté de la suppression du contact sécurisant, les modifications de l’environnement imposées à l’enfant par l’organisation d’une résidence alternée sont à prendre en compte avec soin. Peu d’adultes accepteraient de vivre ainsi, alors comment pourraient-ils l’imposer sans la plus grande circonspection à un petit enfant avide de stabilité psycho-affective ?
Ce n’est guère qu’après l’âge de 5 ou 6 ans, lorsque l’enfant est capable de comprendre la situation qu’on lui impose, qu’une telle éventualité pourrait être parfois envisagée, mais toujours en fonction de critères de décision stricts.